Netflix est mon grand méchant capitaliste préféré.
Voilà, c'est dit.
Comme je ne télécharge pas, avant son arrivée en France, j'étais réduite à deux solutions insatisfaisantes : regarder les programmes télé proposés par la TNT (et perdre le peu de neurones qu'il me reste après une journée de travail) ou acheter les coffrets DVD de mes séries préférées en prenant le risque d'avoir des épisodes manquants, dans le désordre, ou encore des saisons intégralement en VF (oui c'est vers toi que je regarde, France 4, tu m'as pourri Doctor Who, fils de chienne !).
Bref, quand Netflix s'est installé en notre verte contrée, il avait pour moi des allures de Messie. Cela m'a permit de découvrir ma véritable passion, ce à quoi tout mon être aspirait depuis toujours : le binge watching en slip, en sirotant des tasses de lait Gloria au Nesquik.
Comme M. Kolia Mustache est trop occupé à bosser à la FNAC pour passer du temps avec moi, c'est ce que j'ai fait tout ce dimanche ; ô jour glorieux. Et pour changer un peu j'ai regardé une petite poignée de documentaires. Et, les amis, ce fut la régalade.
Alors dans l'ordre d’apparition : Room 237, qui porte sur le Shining de Kubrik, Amanda Knox qui parle de la fameuse affaire judiciaire, My beautiful broken brain qui retrace la rééducation d'une jeune femme très attachante après un AVC (cétait plus sympa que je le pensais) et pour finir, un genre de making-of de la série Star Trek next génération, dont le titre m'échappe et que j'ai trouvé divertissant sans plus (comme la série en fait).
Sur les quatre, seuls les deux premiers films m'ont vraiment marqué. Avant que je développe le pourquoi du comment, je tiens à prévenir tout mes lecteurs nazis du spoil que je vais divulgâcher un certain nombre d'éléments d'Amanda Knox, aussi je vous encourage vivement à le visionner avant de poursuivre. Allez-y, c'est vraiment passionnant. (de Shining aussi, mais je pars du principe que tout le monde connait la fin).
En parlant de Room 237, je tiens à préciser que j'ai préféré le roman de Stephen King au film de Kubrik (que j'apprécie quand même, hein, détendez vous un peu) pour une simple et bonne raison : le roman raconte l'histoire d'un père et d'un mari aimant qui sombre peu à peu dans la folie. Dans le film, Jack Torrance est interprété par Jack Nicholson. Autant dire qu'on comprend dès le départ que le mec est pété.
L'affiche est bien cool |
Mais revenons à Room 237. J'ai regardé ce film sans le moindre contexte : je ne connaissais pas le réalisateur (Rodney Ascher), ni les intervenants, je ne savais pas quand il avait été tourné. Comme il n'est composé que d'extraits de films (de Kubrick ou autres), j'ai même cru qu'il s'agissait d'une vieillerie avant qu'une des voix off parle de la sortie blue ray.
Dans ces conditions, le film s'est imposé à moi comme une analyse du film assez poussée, présentant les points de vue de quelques intervenants inconnus au bataillon, qui vont des interprétations les plus pertinentes aux points de vue les plus grotesques (on parle quand même de numérologie et de théorie du complot là !).
Bien.
J'avoue qu'arrivée au générique de fin, la première pensée qui m'est venue était "Qu'est-ce que c'est que cette merde ?".
En dehors de quelques idées intéressantes (le fait que Danny tue volontairement son père, le fait que les fantômes de l'hôtel représentent un passé refoulé, le film projeté à la fois à l'endroit et à l'envers - ce qui donne de jolies superpositions d'images - ou encore l'architecture déroutante de l'hôtel), la plupart des théories exposées semblent être un salmigondis de sur-interprétations maladroites, ambiance devoir de fin d'année d'étudiant en licence d'histoire du cinéma. Les arguments du style "Ça parle de la Shoah à cause du nombre 42", "Ça parle de Kubrik qui a trafiqué les images du premier voyage sur la lune", ou la meilleure : "Mon fils de huit ans a écrit une histoire qui m'a fait pensé à Shining alors qu'il l'a même pas vu !" , bref tout ça m'a fait pensé que j'avais perdu 1h45 de ma vie.
Et puis j'ai vu Amanda Knox.
Putain, les copains, quel choc ce film ! |
Amanda Knox, c'est une jeune femme (qui a mon âge environ, mais ça tout le monde s'en tamponne le coquillard), qui, en 2007, a été accusée d'avoir orchestré avec son petit ami le meurtre de sa colocataire Meredith Kercher lors d'un séjour en Italie. Le postulat de base est posé par la principale intéressée elle-même : "Soit je suis coupable, soit je suis victime." Et si elle est victime, elle pourrait être nous.
Tout le génie du film repose dans sa construction. Elle reconstitue les faits de manière méthodique et chronologique, entrecoupant les images d'archives d'interview des acteurs principaux du drame : Amanda Knox, son petit ami, le policier chargé de l'enquête, un des journalistes qui a suivi l'affaire (quel trou du cul celui-là, on a envie de le gifler tout du long) et enfin la scientifique chargé de la contre-enquête.
En multipliant les points de vues de cette façon, les réalisateurs (Brian Mc Ginn et Rod Blackhurst), nous laissent nous forger notre propre opinion sur l'affaire sans le moindre jugement moral ; en énonçant simplement les faits tels qu'ils ont été présentés à l'époque.
Et je me suis laissée avoir.
J'ai été victime du storytelling. Sans vous dévoiler toute l'histoire, j'ai d'abord été prise d'empathie pour Amanda, avant de changer d'avis et de me dire avec effroi "J'ai eu de la peine pour une cinglée !", et de retourner ma veste encore une fois "OK elle est louche, mais sûrement innocente, ah les connards de journalistes, ah les connards de flics !" Eh oui. Moi qui me targue d'avoir un certain esprit critique face à l'actualité, j'ai réagi comme les spectateurs de l'époque : j'ai écouté bêtement ce qu'on me disait sans remettre en doute les informations données puisque, bon, c'est un documentaire. C'est sérieux les documentaires.
Et le film parle de ça.
Tout le monde est douteux dans cette affaire |
Il raconte aussi l'histoire d'une jeune femme considérée comme coupable à cause d'une attitude non conventionnelle (on se rend compte ici que le sexisme a encore de beaux restes), d'un fait divers tellement monté en épingle par les médias qu'il devient une affaire d'état (bonjour les tensions entre les USA et l'Italie).
Mais avant tout, le film nous parle de ça. Il nous dit de manière limpide : Vous êtes responsables de vos opinions, à vous de faire en sorte qu'elles soient fondées.
Et c'est là que j'ai repensé à Room 237. J'ai réalisé que j'avais agis avec ce film comme les tabloïds avec Amanda Knox. Je l'ai regardé sans contexte, sans source d'information extérieure et je m'en suis faite une idée qui relève plus du jugement de valeur que de l'analyse objective.
Ma tête quand j'ai pris conscience de mon erreur |
Il s'avère que le réalisateur du documentaire a mélangé à dessin toutes les théories les plus populaires à propos du film, pertinentes ou fumeuses. Il a interviewé des personnes d'horizons très différents (une romancière, un adepte de la théorie du complot, un journaliste, un historien...), sans les filmer ni les caractériser. Il ne sont que des voix off qui donnent leurs avis au fil des extraits. Il ne prend pas parti pour tel ou tel propos, il se contente de nous les offrir tels quels.
En gros, ce que nous dit le réalisateur et la chose suivante : voici des points de vue existants, à vous de vous faire le votre. Room 237 est donc une incroyable mise en abîme où le spectateur se retrouve seul pour interpréter les interprétations d'autres spectateurs.
Assez méta, comme concept.
Du coup si vous êtes amenés à visionner Room 237, je ne peux que vous inviter à visiter le site officiel : http://www.room237movie.com/ qui vous en dira plus sur le réalisateur et les intervenants. Et c'est grâce à Amanda Knox que j'ai compris tout cela. Merci Netflix !
Je terminerai cette chronique par ma propre interprétation de l’œuvre de Kubrick, basée sur son début et sa fin. Shining commence un par un plan très large, magnifique, qui englobe toute la montagne et où l'on suit la toute petite voiture de Jack. Ici l'univers du personnage est encore très vaste, plein de possibilités.
La dernière image, elle, est un plan rapproché sur une des toutes petites photos accrochées dans l’hôtel, on y voit Jack, en gros plan, entouré par les fantômes qui fêtent le 4 juillet 1921. A partir de ça, on comprend que le protagoniste est pris au piège dans l'Overlook hotel et qu'il est, lui aussi, devenu une trace du passé. Tout son univers est désormais aussi réduit et étriqué que la petite carte postale encadrée.
Et c'est, pour moi, l'un des messages importants du film qu'il faut prendre comme un avertissement : ne soyez pas comme Jack, gardez les idées larges, ne vous laissez par influencer au point de perdre toute faculté de raisonnement et ne répétez pas les erreurs de vos prédécesseurs ou vous serez, à votre tour, enfermé dans la boucle du passé.
Il s'agit de mon opinion toute personnelle mais, par les temps qui courent, je me dit qu'il n'est pas idiot de la partager.
Très réussie, cette fête... |