Ce midi, une nouvelle collègue m'a dit que j'étais un rigolo. Comment lui donner tort? On ne va pas se voiler la face, je ne vais pas jouer la fausse modestie, je suis un véritable boute-en-train qui a toujours un bon mot pour détendre l'atmosphère et instiller une ambiance détendue de franche camaraderie dans le monde austère et très codifié du travail. Mais attention, je sais rester professionnel et je connais mes limites. On rigole de temps en temps au boulot, mais quand faut y aller, faut y aller. Ce qui fait de moi un collègue respecté de ses pairs et apprécié de sa hiérarchie, avec qui je n'hésite pas de temps à autre à échanger un bon mot ou une anecdote croustillante.
Donc on peut dire que la rigolade, c'est comme Omar Sharif et le tiercé avec Bilto Magazine : c'est mon dada (et avec cette référence bien pourrave, je viens de dévoiler mon âge à mon lectorat médusé).
Alors quand j'ai entendu parler de Jazzpunk et de son humour OLOL WTF, il fallait absolument que je mette la main dessus. Car autant on parle beaucoup d'Emotion (oui, je mets une majuscule à émotion, mais c'est David Cage qui le prononce comme ça) dans le jeu vidéo, autant on ne parle pas beaucoup d'humour. C'est dommage, parce que c'est pourtant drôle l'humour, ça fait rigoler, et en ces temps sombres où les actualités économiques, politiques et militaires plombent un peu le moral de ce peuple fier et farouche que sont les français, ça ne ferait pas de mal. Hein, une petite blagounette par-ci par-là, hop, tire sur mon doigt, prout, ah ah ah tout de suite ça va mieux.
Il y a eu des jeux drôles, notamment une grosse tripotée d'excellents jeux d'aventures de chez Lucasarts (ou Sierra, j'ai passé de bons moments sur Leisure Suit Larry 7), mais le genre "comique" a été assez peu représenté en dehors des point and click.Mais depuis quelques années, certains s'y mettent. Portal 2 (un de mes jeux préférés) est réellement drôle, alors qu'on ne l'attendait pas spécialement sur ce créneau, et The Stanley Parable propose des passages hilarants (bon, il y en a qui sont très tristes aussi).
Je pense que c'est parce que c'est très dur de faire quelque chose d'universellement marrant, et que les éditeurs de jeux doivent faire de l'argent, et rater un public à cause d'un humour de merde est une trop grosse prise de risque pour la plupart d'entre eux. Par exemple, en France on aime bien les blagues sur les belges. Eh bien croyez-le ou non, mais en Belgique, une blague belge les fera relativement peu rigoler. Anne Roumanoff me laisse de marbre (son humour du moins, parce que son physique m'émoustille carrément), alors que ses livres et ses spectacles marchent très bien. Un de mes collègues (oui, on parle beaucoup boulot dans cet article, j'en suis désolé, je sais bien que vous lisez ce blog pour vous détendre, vous évader et oublier un court instant votre quotidien morose, pas pour vous rappeler la trivialité de votre existence passée à travailler pour subvenir aux besoins d'enfants ingrats ou payer vos impôts, mais je dois raconter cette anecdote) dit souvent en partant, tout sourire : "Comme on dit, à demain à deux pieds!" (VERIDIQUE). Il se trouve très drôle et spirituel (il est célibataire, si ça intéresse quelqu'un).
Tout est donc question de point de vue. Et pour revenir à Jazzpunk, toutes les critiques que j'ai lues mettent en avant la qualité de son humour, tout en admettant que ça reste assez concon dans l'ensemble. J'étais à peu prêt sûr que ça allait me plaire, d'autant plus qu'esthétiquement, je trouvais ça pas mal sur les screenshots.
Ceci est l'histoire d'une terrible désillusion. (attention, cet article risque de contenir des spoilers)
Pourtant, dès le générique, j'étais dedans : ambiance "Arrête-moi si tu peux" très 50s, musique sympa, c'est clairement le point fort du titre... (oui vous ne rêvez pas : le point fort de ce jeu est son générique). Puis il commence (j'ai mis les graphismes en Fantastic! dans les options, mais ça ne change pas grand chose).
C'est triste. |
On avance dans ce couloir terne jusqu'à la seule ouverture disponible sur la droite (grosse leçon de game design), ou un robot secrétaire nous demande de nous asseoir et de feuilleter les magazines installés à côté du fauteuil. Comme on n'a pas trop le choix, on fait les deux, et là le jeu nous montre que c'est un comique avec ses magazines de déglingos.
Reader's Digestive Organs, au lieu de Reader's Digest, oh oh oh, fameux! |
Playbot au lieu de Playboy, parce qu'il n'y a que des robots dans ce jeu, ah ah ah, subtil! |
C'est typiquement le genre de choses qui m'auraient fait sourire si je les avais découvertes par moi-même. Mais là, comme le jeu me les met sous le nez en disant "RIGOLE C'EST MARRANT", ça me consterne plutôt qu'autre chose. On est obligé de regarder les cinq couvertures des magazines pour pouvoir passer à autre chose, c'est un passage obligatoire, t'as pas le choix, tu mates, tu rigoles, et tu te prépares à encore plus de lol parce que tu vas en avoir, tu le sais.
Une fois cette première action hautement interactive effectuée, la secrétaire robot nous dit qu'on peut entrer dans le bureau, où nous attend notre chef. Ce dernier nous refile des missions qu'on ne comprend généralement pas. Son bureau fait office de hub dans lequel on revient toujours et, pour se rendre au lieu où il nous envoie, il nous fait pendre une pilule spéciale qui a un nom de merde genre "missionyl". Après avoir avalé un cachet, on se téléporte à la zone de mission. Paresse des développeurs ? Bien sûr que non! C'est de l'humour! Du misionyl, ah ah, c'est excellent! C'est le mot mission, sur lequel on a rajouté le suffixe "yl" pour faire médicament, c'est comique.
Le bureau du chef. Dans un coin, sous le meuble, il y a un chewing gum qu'on peut ramasser. Ca ne sert à rien, mais c'est une des deux interactions disponibles dans cette pièce. |
Donc pouf, on se trouve dans un nouvel endroit, avec une mission à accomplir. On peut s'y atteler directement ou se promener un peu, si on a que ça à faire, ou si on a trop de temps libre, ou si on ne veut pas finir le jeu en quinze minutes...
Le jeu fait une utilisation plutôt sympa des indications à l'écran, je lui reconnais ça. |
C'est là qu'on touche à un autre problème du jeu : il ne nous propose rien d'autre que ce qu'il a prévu de nous montrer. Lors de la première mission on peut aller dans un cinéma : des pnj font la queue, si on les pousse ils tombent comme des dominos, et là on peut entrer dans la salle. Ce n'est pas très drôle mais bon. Une fois dans la salle, tout ce qu'il y a à faire, c'est fumer un cigare, ce qui fait râler les autres spectateurs, et une fois le cigare achevé, on leur balance du pop-corn. Alors ce qu'il y a à l'écran est drôle (une vieille pub sur un jouet improbable), mais ça passe en boucle. Mais surtout : en quoi est-ce ludique de balancer du pop-corn?
Et si je balançais du caca? C'est drôle le caca! Ah non, ça a déjà été fait dans Duke Nukem Forever. |
En sortant du cinoche on croise une grenouille qui va nous demander de l'aide pour traverser la route, alors le jeu prend des allures de Frogger, mais en moins jouable, et à chaque fois qu'on se rate la grenouille est un peu plus blessée (nul), on peut aussi tomber sur un carton à pizza qui nous transporte dans un monde étrange dans lequel on découpe des bonhommes en bout de pain avec une scie à découper les pizzas, pour arriver dans une cabane et vivre une scène qui reprend un passage d'Evil Dead 2 (pourquoi? Quel rapport avec la pizza? Quel rapport avec le jeu?)
Voilà, la cabane dans le monde de la pizza. La lune est un champignon, oui. |
Tout au long de cette courte aventure, le jeu va nous faire de l'humour absurde. Je n'ai rien contre l'humour absurde, j'aime beaucoup les productions ZAZ, mais cette forme d'humour ne fonctionne que par opposition à une certaine normalité, soit celle du spectateur qui ne vit rien d'extraordinaire au quotidien. Dans Jazzpunk, on est à la base dans un univers complètement pété, on a aucun point de repère par rapport à une quelconque normalité puisque le jeu n'en propose pas et qu'on ne peut pas la mettre en relation avec la notre (jusqu'à preuve du contraire, je ne suis pas entouré de robots humanoïdes). Donc de mon point de vue, tout cet humour lourdingue à base de bruitages grossiers et d'incohérences volontaires débiles tombe à plat.
Mais le pire reste ces références sorties de nulle part qui caressent le trentenaire dans le sens du poil. Je parlais d'Evil Dead 2, mais il y en a plein. Il n'y a que ça en fait. A un moment, on se retrouve avec un détecteur de métal sur une plage, et la c'est le festival du n'importe quoi, puisqu'on va déterrer une console Panasonic, un cd d'installation internet genre AOL ("ah ah, c'est si subtil, les jeunes joueurs ne connaissent pas ça, ils n'ont vécu qu'avec l'adsl ces ignorants, mwah ah ah, ils ne peuvent donc pas goûter au raffinement de ce gag"), un trésor avec une musique dégueulasse façon jeu craqué sur amiga... On croise une tortue, et quand on clique dessus ça lui balance une pizza et des armes en gueulant COWABUNGA, pourquoi? Pourquoi? POURQUOI? Ca n'a pas de sens! Enfiler les clins d'oeil et les références poussives hors contexte n'est pas drôle! Et encore, je ne vous dis pas tout, ce serait trop long.
Une quille se cache dans cette image. |
Et c'est dommage, parce qu'une histoire se dessine au cours de ces missions stupides, qu'elle pourrait être pas mal et, par moment, l'ambiance n'est pas mauvaise. Les parodies de jeu auraient pu être chouette, si elles avaient bien été exécutées et bien amenées ("Wedding Quake" par exemple), mais finalement elles sont justes pénibles à jouer.
Wedding Quake : là je suis mort, c'est bête, je venais juste d'avoir la gatling gâteau, que je vais appeler gateauling. |
Restent quelques séquences esthétiquement réussies vers la fin, mais encore une fois à l'aspect ludique très limité ainsi que quelques gags réussis malgré tout.
J'aime bien ce passage, même si je n'ai rien compris. |
Mon gag préféré. Ouais, je l'ai carrément spoilé, mais en même temps, vous ne l'auriez jamais vu car vous n'achèterez pas ce jeu. |
Même si il m'arrive parfois de passer à côté de jeux que tout le monde trouve géniaux, j'admets que Jazzpunk m'a vraiment laissé perplexe. Il est très court (moins de deux heures) mais m'a paru très long à faire, pénible à finir, alors que dans l'ensemble les critiques sont bonnes (75% sur metacritic, je sais qu'on ne peut pas se baser uniquement là-dessus, mais quand même quoi...). J'ai même regardé des vidéos commentées par des mecs qui se marraient franchement à des trucs que j'ai trouvé navrant.
En fait, je ne comprends pas que l'on trouve ce jeu bien. C'est un cliché de jeu indé qui se la joue cool et décontracté avec ses références branchées années 80, mais d'un point de vue ludique c'est très limité et très pauvre (je sais que ça n'a rien à voir, mais Gone Home n'utilise que les deux boutons de la souris et c'est infiniment plus profond en termes de gameplay), et surtout, au cas où vous ne l'auriez pas compris, ce n'est pas drôle.
Le moins drôle étant bien évidemment le fait que j'ai payé ce jeu.
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